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Les Demoiselles de Creil: Les B-17 de l'IGN
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2 février 2012

Un vol en B-17 par Bernard Chabbert (Aviasport - Février 1975)

UN VOL EN B 17 DE L’I.G.N. COMMENTE PAR BERNARD CHABBERT EN 1974 (ou 1975 ?)

(Extrait de la revue AVIASPORT de février 1975) et rapporté par Blas Daniel ancien de la

Base aérienne 110 de CREIL (1973/1981) et hyper fana des B-17

 

   J

e me suis à demi scalpé une première fois en passant la porte d’entrée. Une deuxième fois dix secondes plus tard en me redressant à l’intérieur. Puis une troisième fois, encore quelques secondes après, en passant du compartiment mitrailleurs latéraux au compartiment photo. Et j’ai ensuite arrêté de compter les bosses. Qui a dit qu’une Forteresse volante était un gros avion ? Dedans c’est tout petit, et c’est plein de cornières acérées.

   Mais Pavlov avait raison, on s’y fait vite et on apprend les contorsions adéquates, cette espèce de tango bizarre que dansent ceux qui volent sur B-17.

 

   Ils ne sont pas nombreux dans le monde. En fait, à part la Forteresse « de meeting » de la Con-

Ferate Air Force, le groupe le plus important de ces vénérables machines se trouve en France, basé à Creil et appartient à l’Institut Géographiques National, l’I.G.N. Ils en ont quatre, qui volent comme des jeunesses ou presque, ratissant la planète Terre en écrivant à elles seules un chapitre à part entière de l’histoire déjà bien garnie de cet avion de légende.

   Ce matin-là, à O8 h 30, je fis connaissance du B-17 G F-BEEC, piloté par René Donnat, mécanicien navigant Féron, photographe Meillat, mécanicien d’accompagnement Gaston (Gastounet) pour ses copains), et navigateur-chef de mission « La Grille » Mounié. Un grand avion argenté, terriblement intimidant et formidablement beau, et un équipage totalement assorti à la machine. But de la manœuvre : descendre de Creil jusqu’à Libreville, Gabon, via Alger, Ouagadougou, Lomé et une vingtaine d’heures de vol afin de pouvoir raconter à mes petits-enfants comment ça faisait de voler en 1975 à bord d’un avion de la même année que moi, une machine avec quatre moteurs et une roulette de queue et un nom qui est devenu un symbole : Forteresse Volante ; le nom fut donné par un journaliste de Seattle qui assista le 28 juillet 1935 au premier vol du Boeing 299. Plus de 10.000 Forteresses plus tard, la plus sauvage des Guerres Mondiales plus tard, à l’âge de Concorde, de la navette spatiale et du Drugstore, le nom a encore gardé un poids impressionnant.

   Et pour ceux qui auraient envie de ronchonner en disant « une forteresse dans Aviasport, c’est en dehors de notre aviation à nous ! », je répondrai de suite que je n’ai jamais rien vu de plus sportif à piloter que ce Sicile quadrimoteur. Combien de pilotes légers sont-ils compétents sur avion à train classique, en notre époque de Cessna et Rallye ? Alors imaginez-vous un avion de 27 000 kilos max. au décollage, avec 4 800 chevaux, 31 mètres d’envergure et près de 25 de long, doté d’un train classique avec une roulette de queue à deux positions, bloquée dans l’axe ou libre de se mettre en travers (au plus mauvais moment, bien entendu) car non conjuguée aux pédales, des freins du genre névropathes et une tendance à s’embarquer joyeusement à 10 degrés de l’axe en un clin d’œil : si la Forteresse n’est pas un avion sportif, alors je me demande ce qu’est un avion sportif (ce qui, attention ne doit pas être confondu avec avion musculaire : le B-17 est aussi doux qu’une pâtisserie de chez Fauchon).

   Ceci posé, en route. Ce matin-là donc, après les présentations à l’équipage, on embarqua, mon scalp commença à souffrir et la petite porte fut fermée. A propos de la porte, on reconnaît immédiatement  celui qui est habitué du B-17 à sa façon d’embarquer ; l’idéal : on s’accroche des deux mains à l’intérieur, au raidisseur qui passe en haut de la porte, hop une traction et on balance les jambes, à l’horizontale à l’intérieur de l’avion, toujours tractionnant, on baisse la tête le temps de passer sous la cornière en dural, les pieds sur le plancher et on redresse élégamment, sur la lancée. Et on se défonce aussi sec une demi-douzaine de fontanelles sur un couple de fuselage, le crâne emboîté dans le creux formé par l’arête dorsale de l’avion.

 

   Voilà, on est donc dans une Forteresse, et on se rend compte que ça va nous changer des 747 et des Cessa. On se tient la tête à deux mains, en marmonnant « aille aille ouille aille », et on découvre ce que « bombardier » veut dire : il n’y a pas là-dedans un demi-gramme de garniture, d’isolation, d’insonorisation ou de quoi que ce soit destiné à faire joli. On est dans une cellule d’avion toute nue, et on se rend compte que ces câbles qui courent à hauteur de nez sur les parois droite et gauche ne sont pas des accroche-cintres ou des mains courantes : il s’agit des câbles de profondeur et direction, d’un diamètre confortable et rassurant.
   Par terre, c’est un plancher de contre-plaqué, genre caillebotis. Et, merveille, de chaque côté d’un couple de sièges, il y a à droite et à gauche les postes mitrailleurs : deux rectangles d’un mètre sur un cinquante, obturés par du plexi, qui donnent l’impression d’être assis sur une terrasse installée entre deux ailes. Des ailes épaisses, comme on n’en fait plus, à la fois mastocs et élégantes, interminables, sur le dessus desquelles s’allongent les fuseaux-moteurs.

   On monte vers l’avant, on loupe une marche (en descente), on se rattrape à un couple en s’ébréchant un doigt, et en relevant la tête on percute un autre arête de métal ; on continue, chantonnant « Ouille ouille aille saloperie d’avion », on loupe le pas (en montée) qui mène au poste photographe (à l’origine c’était le domicile du radio), une cambuse de deux mètres de long éclairée au plafond par une ouverture ovale, avec plexi, qui était un poste de tir (quand le radio ne savait pas quoi faire, il pouvait toujours prendre de l’exercice en tirant sur les Messerschmitt)

La cambuse était ce matin-là encombrée de caisses d’Evian, de cantines plombées, de valises diverses et de colis destinés à un autre équipage IGN baroudant du côté de Lomé avec un Hurel-Dubois. Le tout était arrimé avec des cordes, et ça tenait assez de la cale de goëlette à coprah. Sauf que ça ne sentait pas l’hibiscus mais un mélange d’odeurs d’essence 100-130, de tôle badigeonnée de zinc-chromate couleur vert vomi, d’huile, d’humains travailleurs, le résultat étant un parfum qui me fait un petit frisson dans le dos, à moi ; c’est l’odeur qu’avaient les avions avant que les intérieurs ne soient en plastique. Ca ne sentait pas encore le Munster. Mais deux jours plus tard …

   Après la cambuse, on se faufile par une petite porte qui a tout de la porte de four, donnant sur un compartiment tout noir, sans hublots, encombré à droite d’un réservoir de soute, une cuve marron-noire haute comme cinq baignoires et à gauche un nouvel empilage de caisses et colis ficelés. Avant, c’était la soute à bombe. Pour se glisser entre le réservoir et les colis, je dus rentrer le ventre et me prendre pour un cobra. Là-bas, à quelques mètres devant, était le paradis : le cockpit. Levant les yeux pour mater un peu là-dedans, et ce faisant, levant la tête, je percutai du front la plus épouvantable cornière de tout l’avion (je ne pourrai jamais plus passer par la soute sans m’assommer, et cela jusqu’à Libreville ; sauf une fois, où je fus si content de moi que je faillis m’ouvrir le front sur la cornière suivante) ; dangereux avion, cette Forteresse. De nouveau une mini-porte, et on débouche dans le cockpit ; Une vraie passerelle, avec entre les deux sièges le gouffre béant de la trappe qui conduit à l’étage du dessous, à savoir le poste navigateur qui est dans le nez vitré de la bête.
   Devant les sièges, un tableau de bord à faire des bassesses tant il ressemble au « Tableau-de-Bord »,  « the », celui des films américains. Avec des volants gigantesques, des tripotées de bitonniaux et de manettes exotiques, des gros rhéostats placés dans les lieux bizarres, des vieux cadrans bien lisibles. Au-dessus, un pare-brise pas plus haut que celui d’une Pontiac V-8 1934, et des glaces latérales coulissantes d’un demi-mètre de long. Le tout écaillé, usé, noir par ci vert par là, et avec des endroits ébréchés, limés, usés où le métal apparaît à nu, brillant et poli. Pas un avion de minet, le B-17 … On s’attend à trouver Steve Mac Queen grimaçant un sourire de cow-boy dans le siège de gauche ; ce Mac Queen s’appelle Donnat, et il a l’accent du Sud-Ouest (de la France). A droite, sur le siège habituellement occupé par Paul Newman c’est le mécanicien, Féton, qui a une petite moustache, des biceps aussi épais que les plumes de son avion (il est fondu de sport) et l’œil à tout.
   L’avion au sol, on ne voit pas grand chose sur l’avant because position trois points. Si, au fait, on voit quelque chose : le dôme d’alu et de plexi par lequel le navigateur vise soleil et étoiles avec son truc à miroirs afin de vous dire d’un ton modeste, après moultes incantations cabalistiques, qu’on est à deux dixième de nautique de la route et que c’est assez acceptable après deux mille kilomètres de Sahara.
   A propos d’incantations, les deux occupants de la passerelle, commencent à s’échanger des mots familiers, et soudain, flop flop prop brombrom-braaoummm, et le 1 (extérieur gauche) est parti, crachant un cumulus de fumée grise qui tourbillonne une demi-seconde derrière les capots vibrants, dans le souffle en toupie de l’hélice. Ca tourne souple, doux, un peu comme les grosses motos BMW.

   « Le 2 ». Les pales tournent, passant à vingt centimètres des pieds du pilote, de l’autre côté  de la peau d’alu du fuselage. Donnat compte « une deux trois quatre cinq six… » et à « dix » le 2 démarre, et « le » bruit s’installe dans le cockpit : le claquement des pales d’hélice qui tournent tout près, presque à bout de bras ? Les incantations deviennent hurlements, et le 3, intérieur droit, vient ajouter son considérable raffut aux litres de décibels qui s’écoulent déjà dans le fuselage. Puis c’est le 4, et c’est parfait, bien compris : pas question de parler, prière de gueuler.  Ou  alors de brancher l’intercom, comme c’est le cas. Ceci dit, il n’y a rien de très différent dans la mise en route des Wright d’un B-17 par rapport à celle d’un Rallye 100 cv. C’est plus long, plus bruyant et nettement plus sexy, si je puis m’exprimer ainsi.
   Et ça vibre, des vibrations baladeuses qui se mélangent au gré de chacun des moteurs ; coup d’œil vers l’arrière : on voit la profondeur qui vibre elle aussi, et si l’on regarde vers le fond du fuselage on voit très bien que ça tremble et sautille du côté de la roulette de queue.
   Roulage : la tête du pilote montée sur rotule, un coup d’œil à droite et un coup à gauche, et dès lors c’est mieux qu’au cinéma : Donnat-Mac Queen fait avancer son monstre, jouant sur les quatre moteurs, les pieds pompant le palonnier droite-gauche et toc, de temps en temps un coup de frein pour aider. Avec les balancements de l’avion, les gémissements désespérés des freins, les tours-hélices qui se croisent en stéréo en suivant le pianotage sur les manettes… quelle ambiance ! Rien à voir avec le murmure chuintant et aseptisé des cockpits d’avions lourds d’autrefois, meublé de phrases prononcées sur le ton de la confidence. Là, quand Donnat demande à Féron de lui bloquer la roulette de queue en ligne, il gueule « La roulette ! » plus fort que le moteurs et les barrissements des circuits hydrauliques.

   Quand une Forteresse quitte le parc, elle appareille, tout comme les voiliers d’autrefois, avec des cris et du vent et des balancements qui font que tout le monde à l’alentour regarde, et s’en met plein les yeux. Il se passe quelque chose, ça n’est pas un jet qui quitte le point Charlie 2 pour rouler vers la 27 à gauche.
   Et même les parkings et les bâtiments de l’IGN de Creil qui ressemblent à s’y méprendre à une base d’Hollywood, avec des arbres et des hangars qui défilent à quelques mètres au bout des ailes, le B-17 zigzagant légèrement sur le taxiway étroit et sinueux qui contourne un petit bois. Dans le bois, au milieu des arbres, quelques carcasses de B-17 et de Hurel-Dubois cannibalisés pour que les autres volent. Ca roule plus vite, et les balancements obligent à se cramponner, la pente vers l’arrière du fuselage n’arrangeant pas les choses.

   Voilà la piste, avec un abri en béton sous lequel se tient un Mirage d’alerte ; coup d’œil méprisant sur le bisonique. Lui, c’est un quasi-missile ; nous nous sommes un avion, une machine volante avec des vraies ailes.
   Point d’attente, et la Forteresse stoppe dans un tel concert de sifflement, gémissements et gargouillis que ça déclenche presque une crise d’hilarité : c’est plus vrai que nature, et tout ce qu’on a lu, vu et entendu sur ce sujet est très au-dessous de la vérité.
   Point fixe. Le 1 à 2 000 tours, hélice plein petit pas. Toc, la manette en bas et au milieu du ronron des trois autres moteurs au ralenti on entend le « frouaaaaaa » du passage grand pas. Petit pas, essai de la mise en drapeau, même bruit, petit pas et encore un coup de grand pas. Dans la foulée, test des magnétos à 2 500. Le 1 terminé, idem pour le 2, puis le 3 et le 4. Ca prend du temps. On commence à se sentir presque chez soi, dans cette boîte fuselée si étroite malgré les apparences. Ils disent la check-list, et n’oublient pas de débloquer les commandes en rabattant dans le plancher derrière le talon droit du pilote le levier qui bloque tout.
   Le prototype du B-17, le Boeing 299, s’écrasa commandes bloquées, le 30 octobre 1935, juste après le décollage, tuant sont pilote d’essai Leslie Tower. Cela faillit être la fin du grand quadrimoteur : on trouvait qu’il était trop compliqué pour pouvoir être utilisé avec sécurité. C’est un peu plus tard qu’un groupe qui travaillait sur le fils du 299, nommé le YB-17, inventa un aide-mémoire qu’ils baptisèrent « check-list »… La première check-list était née, et celle que lisait Féron ce matin là devait furieusement ressembler à celle de 1935 ? Sans check-list, la mise en œuvre d’un Forteresse apparaît très problématique.
   « Allez, on y va » gueule Donnat, une fois que Féron a rangé le carton jauni dans la poche latérale du siège. Moteurs, tours qui grimpent et la grande carcasse vibre et s’ébranle, pénétrant sur le béton. Petite bagarre pour se mettre dans l’axe, moteurs-palonniers-freins, puis « La roulette ! » et mise de gaz ; C’est ultra-lent, afin d’ajuster gauche-droite et d’établir les 25 tonnes sur une trajectoire la plus rectiligne possible. Par le pare-brise on voit la bande axiale qui glisse légèrement d’un côté puis de l’autre, et le travail du pilote est sans commune mesure avec les écarts de trajectoires très faibles : il pompe, rajoute cent tours ici et cinquante là et au bout d’une dizaine de secondes assez agitées, la Forteresse chante de ses 4 800 cv, le fuselage résonnant comme une guitare, prenant sa vitesse. Le pilote travaille moins des pieds, ou plutôt c’est plus nuancé car les immenses gouvernes gagnent en efficacité. En tout cas, c’est très exactement du pilotage de Stampe : c’est aussi classique et le décollage exige un pilotage précis doublé d’un bon sens de l’anticipation. A l’échelle près, bien sûr.

   En deux secondes, on passe sur les roues, en ligne de vol ; le pilote n’a fait que solliciter au manche le changement d’assiette, le B-17 s’est installé tout seul à l’horizontale. Le badin passe 80 mph, 90 et accélère vite vers le haut. Autour de 107-110, miracle, on vole ; les roues ont quitté le sol avec une discrétion rare, et la Forteresse s’est mise en l’air toute seule ou presque. Là encore, Donnat n’a eu qu’à  solliciter le décollage. Le train est rentré, en basculant un petit interrupteur placé sur le petit panneau rapporté au milieu, au-dessus de la visière d’instruments. Vérification : le pilote jette un œil à gauche, sous le moteur intérieur : pas de roue, c’est donc qu’elle est dedans. Le mécano fait de même à droite, et Gaston qui est assis derrière, à hauteur du balcon de tir latéral gauche fait signe pouce levé que la roulette de queue est rentrée : en vol elle habite un logement sphérique qui se trouve tout à fait à l’arrière de la cabine. On voit tout le mécanisme de relevage au milieu des couples, lisses et cornières et il est donc facile de vérifier que la roulette est dedans ou dehors. La roulette, soit dit en passant, est grosse comme une roue de jeep adulte, à peu de chose près ?

 

   On vole en Forteresse : ma foi, ça pourrait être en DC-4 ; les sensations sont semblables : mêmes bruits, mêmes assiettes, même impression de prise de vitesse lente et de montée patiente, mais sûre. On a perdu ces habitudes, de nos jours, à bord des jets qui grimpent vite et sans vibrations. Encore une fois, on imagine très bien que la mise en route d’un grand voilier une fois la sortie du port effectuée pouvait avoir quelque chose de la montée vers la croisière d’un B-17.

   Sortie de la zone de Paris et des affres, la première balise du jour est une vieille connaissance : celle de Châteaudun, qui sera suivie d’Amboise. Et c’est assez amusant de faire son petit calcul et de constater que l’immense quadrimoteur ne va pas plus vite qu’un Bonanza ou un Robin Tiara. Ceci en croisière économique, 28 pouces à l’admission et 2 000 tours aux hélices, avec une consommation horaire de l’ordre de 750 litres de 100/130. Nous sommes dans le bleu, à 10 000 pieds au-dessus d’une couche qui s’arrête comme d’habitude à la Loire. Il fait chaud dans le cockpit, on discute et on fait connaissance dans le ronronron qui oblige à parler fort. Mais vers l’arrière, au compartiment mitrailleurs, c’est tout à fait supportable et pas plus bruyant que dans un DC-3.
   On découvre autre chose : la Forteresse est un avion fabuleux sur le plan du point de vue que l’on a, où que l’on se trouve ; du compartiment arrière, on voit le sol, les ailes, les empennages et même, en se penchant dans le plexi des postes de tir, le sommet de la dérive. On est vraiment gâté par rapport à la meurtrière standard d’avion pressurisé. Et on se retrouve vite fasciné par le sol qui défile lentement et dont on voit une surface gigantesque. Au cockpit on est encadré par les moteurs et les grandes ailes qui bouchent la moitié du champ de vision latéral. Vers l’avant, le pare-brise donnerait un bon champ, s’il n’y avait pas l’astrodôme protubérant qui pousse comme une verrue au-dessus du nez.
   Mais l’endroit le plus merveilleux est le poste avant, la place du navigateur ; Imaginez un siège confortable avec des accoudoirs et tout ce qu’il faut pour se détendre ; installé très exactement dans une bulle de verre par laquelle vous voyez le monde qui se déroule entre vos pieds, les nuages dodus qui se précipitent sur vous, et vous engloutissent et vous recrachent à 300 à l’heure dans le ciel bleu. Croyez-moi, il n’existe aucune télévision qui vale un poste navigateur de Forteresse. Et si l’on se redresse dans l’astrodôme, en se tordant un peu le cou, on aperçoit vers l’arrière le sommet du pare-brise du cockpit avec les visages du pilote et du mécano.

   De découverte en découverte, on arriva en verticale Perpignan, direction Palma et Alger. Et il était l’heure où les estomacs commencent à se manifester ; direction l’arrière, avec deux coups d’assomoir sur les cornières au passage, et farfouillage dans la caisse-repas du navigateur. Un bout de pain et une tranche de saucisson, aidées d’un coup de rouge et c’est l’extase ou presque, les fesses coincées entre deux caisses, mastiquant en contemplant de l’autre côté du mètre carré et demi du plexi latéral le défilement des îles de la Méditerranée. Le temps s’écoule lentement, mais sans ennui, comme il s’écoule en mer. On n’est pas aux pièces, on a plus de gasoline qu’il n’en faut, rien ne presse. Ca change de l’existence parisienne avec ses moments de quasi-hystérie. C’est une vraie cure de repos, cette Forteresse. Encore que ça bourdonne un peu dans les oreilles.
   Dans le fond de la caisse de boustifaille, découverte d’un Munster. Plus faim ; on verra demain. Le mécano vient s’alimenter lui aussi, et je passe à l’avant. Donnat me fait signe de me poser à droite ; reptation et contorsions, pour ne rien bousculer dans la forêt de manettes. Le P.A. est en grève du côté des ailerons, il faut tenir l’avion à la main avec deux doigts (l’air est calme).
   - « Vous voulez le tenir ? »

    Qui serait assez idiot pour refuser un manche de B-17 ?
   Découverte immédiate : c’est un gros avion, mais il est très peu chargé au mètre carré. Il suffit donc de pressions un peu fermes pour le guider. C’est un avion naturel, qui répond sans délai, un peu comme un Robin bois et toile, tonnage en plus ; mais aucune lourdeur, aucune paresse. Donnat débraye le P.A. et je fais de la tenue de cap et d’altitude. Autre constatation : la profondeur est d’une efficacité exceptionnelle. Et les pédales de palonnier, grandes comme des skis nautiques ou presque, attaquent une direction elle aussi sans bavures : une pression à droite et le nez chasse immédiatement.

   Un peu de manche arrière, pour tenir l’altimètre collé à 7 000. L’astrodôme grimpe jusqu’à l’horizon en douceur, et reste là. Le vario est à 150 pieds/minutes en montée, et on apprend tout de suite une autre caractéristique du B-17 : toute variation d’assiette, même minime, amène en un temps tout aussi minime une variation de badin assez importante. A la remise en palier le badin remonte lentement, et une mise en descente de l’ordre de 200 ft/mn induit en une demi-dizaine de secondes un excédent d’une dizaine de mph. Un peu plus tard, très légère turbulence : l’avion se tient très facilement, maquette bien centrée sur l’horizon, à condition d’anticiper un poil de ne pas contrer exagérément, mais plutôt en accompagnant.

   Une vingtaine de minute de ce jeu-là et on commence à s’ennuyer. On rebranche donc le P.A. et on tire une première impression : le B_17 est un gros avion certes, mais c’est une grande caisse légère pleine de vent, un avion très voilier. Donc il se pilote très classiquement, et n’importe qui ayant reçu une formation normale ne se trouvera pas dépaysé ; mais pour être lâché là-dessus il vaut mieux savoir manipuler parfaitement un avion à train classique sans impasses.
  L’atterrissage à Alger et ceux des trois journées suivantes me confirmeront dans cette opinion. IL y avait un peu de vent de travers, et l’approche se fit cabrée et aile basse. Jusqu’à la courte finale les actions sur les gouvernes sont importantes, mais les réponses sont franches et assez rapides, semble t ‘il.

   Dès l’arrondi et la réduction, ça se corse pour le monsieur qui conduit. Avec une telle surface, ça court. Mais c’est un avion qui a tout pour créer une traînée monumentale. Donc, se méfier du moment où le badin ne sera plus assez important pour faire voler la bête : ça doit décrocher net. Les actions aux gouvernes deviennent plus marquées,  jusqu’à atteindre des proportions titanesques pour un pilote « léger » : Donnat souque, braque, rend la main et braque de l’autre côté tout en pédalant avec entrain alors que le B17 court au ras de la piste. Bizarrement, on reste collé sur l’axe, les plumes bien à plat et le fuselage parallèle à la piste : quand on rapproche cette stabilité de trajectoire de la gymnastique du pilote, on comprend ce qu’ »anticiper » veut dire. Et au moment où l’on s’y attend le moins, tchouf-tchouff, le train se pose comme une fleur. La trajectoire est tenue en continuant à piloter l’avion sur les trois axes, puis la roulette se pose à son tour et c’est alors au palonnier que ça se passe. Le nez zigzague légèrement et sur annonce d’embardée à très basse vitesse un poil de frein aide à revenir sur la ligne jaune.

   « La roulette ! » hurle Donnat, et on vire à 20 à l’heure sur la bretelle.
   Dix minutes plus tard, les oreilles bourdonnantes, on saute de l’avion (et je laisse une bosse à la cornière de porte). J’ai fait mon premier vol en B-17.
   La nuit à Alger fut courte après un dîner rapide avec un ancien pilote de l’I.G.N., devenu commandant de bord à Air-Algérie. On se leva (assez vaseux en ce qui me concerne) vers 4 heures et demie, pour une décollage à six. On chercha un bar ouvert à l’aérogare, mais il n’y en avait pas, et on s’engouffra dans le B-17 le ventre vide, en se promettant un casse-croûte maison un peu plus tard. Mise en route dans le noir, roulage entre les loupiottes bleues, et décollage face à l’Est (ou Nord-Est, je crois), avec une pâle lueur dessinant les montagnes. Décollage plus délicat que la veille au poids maxi : plus de douze heures d’essence dans les réservoirs, direction Ouagadougou, 9h 30 plus au Sud-Sud-Ouest, de l’autre côté du Sahara.

   On monta en même temps que le soleil, et on passa les premiers confins du désert alors que le soleil émergeait au-dessus de la couche de nuages que nous rasions. Dire que c’était beau est bien faible, et le fait que l’aile gauche était devenue d’un orange éblouissant ne faisait qu’ajouter à la féerie. Mais le soleil continua à grimper, on embouqua le Sahara pour de bon et il fut l’heure de se sustenter matériellement. Pain, saucisson, plus quelques mandarines achetées au soir à Alger. Le Munster ne sentait toujours pas, car il faisait frais.
   Trois heures plus tard, le soleil au-dessus de la tête, du sable et des rochers plein les yeux, dans une réverbération malsaine pour ceux qui sont sensibles au mal de crâne, on commençait à avoir chaud. Devant, Mounié calculait et travaillait du Doppler, appelant de temps en temps dans l’intercom : «  Navigateur à pilote ; un degré à droite ». Et Donnat tournait le bouton du P.A.

 

   C’est long et immense, un survol du désert, mais on en garde toujours des images extraordinaires. Ce voyage-ci me laissera le souvenir du survol du Tanezrouft : sable presque blanc, avec des rochers gris virant au vert ou au rose, et des zones étranges où le sable sur le sable se dessinent des flammes roses-violet. Et cela sur des dizaines, centaines de kilomètres, à 10 000 pieds et 170 nœuds. Dans le cockpit on se desséchait lentement, cuits aux rayonnements. Féron passa derrière se taper une aspirine car il avait un peu mal au crâne. On tira les rideaux du pare-brise. Et Mounié remettait de temps en temps son leit-motiv : « Navigateur à pilote : un et demi à gauche ». Et un petit coup de bouton de P.A.

   Ca dura dix heures, bloc-bloc, mais elles passèrent comme un rêve. Et on se retrouva en finale sur Ouaga, un peu saoulés de bruit et de vibrations. Belle piste, bel attéro, et un accueil d’une rare gentillesse des Voltaïques du terrain ; police, contrôle, essenciers. Et ça se continua à l’hôtel, l’Hôtel de l’Indépendance, confortable, piscine, climatisé et avec une table de première qualité. On dormit bien, sauf Mounié qui cohabita plutôt mal avec un squadron de moustiques d’élite, tous des as. Le matin, il était morose.

   On leva les roues à 7.59, direction Lomé via, les points Bongo, Nasia, Lepusi et Pampa. Ca sonne nettement plus exotique que Chartres, Tours et Poitiers, non ? FL 90 et mon estimée d’arrivée était 10.33 ; on navigua au-dessus d’un océan de broussaille surchauffée, cachant le sol, et il fallait regarder à la verticale pour voir quelques détails ; ça n’était plus du sable, mais des arbres, des arbres et encore des arbres. Il faisait chaud, pas trop quand même, et on travaille du computeur chacun de son côté pour passer le temps. C ‘est fou comme on s’habitue vite, même aux Forteresse Volantes. J’étais presque chez moi, évitant assez bien les cornières et musardant du nez à la queue en effectuant le parcours du combattant adéquat. J’étais suffisamment chez moi pour commencer à parler pêche avec l’équipage, et je découvris ce qu’I.G.N. veut dire durant les trois jours suivants, à discuter avec ces messieurs qui non seulement volent en B-17 mais aussi font un des boulots les plus nobles qui soient : il sont cartographes.

   Les rois du quinzième siècle tenaient leurs cartographes en haute estime ; ils étaient anoblis et pensionnés, et se situaient au carrefour où se rencontraient les grands du monde de l’époque : découvreurs, capitaines, explorateurs, navigateurs. Tous avaient besoin des cartographes, et tous l’étaient un peu, au hasard de leurs voyages.

   Les équipages de l’I.G.N. sont des gens qui ratissent la terre entière, de la Terre de Feu à l’Iran, en passant par la Guyane, à toutes altitudes, durant des dizaines de centaines d’heures, tirant le portrait de notre planète avec des instruments qui auraient frappés d’infarctus les cartographes d’antan ; et pourtant les « équipages de l’I.G.N. sont aussi des grands capitaines, naviguant à l’estime et au Doppler, passant du LORAN au « cap et la montre » avec la tranquillité et quasi-infaillibilité que confèrent le savoir-faire et l’expérience. Ils ne vont pas vraiment quelque part quand ils partent en mission, ils vont partout : leur boulot est de ramener tout un pays sous forme de clichés ou toute une région ; et chaque arbre, chaque marigot, chaque maison de cette région sera sur la photo. Les forteresses, avec les Hurel-Dubois et le Mystère 20 de l’Escadrille Photo de l’I.G.N.,  se sont reconverties : d’avions à tuer elles sont devenues des moyens d’explorer et de savoir comment tracer une route, ou construire un pont, par où passer pour aller quelque part. elles sont devenues des porte-caméras : et si les avions ont une âme, je pense que ces Forteresses-là sont parmi les avions les plus heureux du monde.

 

   Notre Forteresse heureuse déboula à 2 000 pieds en verticale du terrain de Lomé, dans la brume de chaleur, après une descente au radio-compas et à l’I.L.S. On s’éloigne sur la ville, et ce faisant on survola un stade qui grouillait de monde et de drapeaux ; c’était la fête, en bas. Mais on avait autre chose à faire dans le cockpit que la fête. Train sorti, coup d’œil à droite, à gauche et au fond du fuselage pour assurer de la chose, virage à gauche, en descente pour revenir sur l’axe, réduction, préparation en suivant la check-list. Finale, un peu de turbulence et un kiss.

   Au parking, il y avait la bande à Tardieu et son Hurel. Tardieu est un autre pilote de l’I.G.N. blond et bronzé, qui portait ce matin-là une chemisette indienne (ou africaine) d’un jaune éclatant. On parqua le B-17, on ouvrit la porte et le premier gars de la bande à Tardieu qui mit le nez à bord fit la grimace et brailla : « Ca pue là-dedans ! ».
   Nous on ne sentait pas, vaccinés par trois heures et plus de vol. mais il est un fait que le Munster de Monsieur le navigateur-chef de mission commençait à apprécier l’Afrique et la chaleur des tropiques, du fond de sa caisse en carton. L’Echo-Charlie était une forteresse parfumée.

   On eut l’explication de la fête en ville : c’était l’anniversaire de l’Indépendance du Togo, et une indépendance africaine se fête sérieusement. La bande à Tardieu récupéra courrier, colis et messages de la famille. Ils sont en Afrique depuis 4 - oui, quatre – mois, à se balader de Zaïre en Gabon via Togo et j’en passe, photographiant ici et là, se débrouillant pour en faire un maximum en fonction des conditions météo, se trimballant d’hôtel en hôtel (souvent archi-pleins dans ces pays : en deux semaines à Port-Gentil, ils ont déménagé cinq ou sept fois), négociant l’essence ici et là (à Lomé, il y eut marchandage entre eux et nous, et entre le Hurel et le B-17 les cuves furent asséchées), et vivant ce qui me semble être le lot standard des équipages de l’I.G.N. : une existence basée sur l’improvisation permanente et méthodique, une vie moitié romanichels volants – moitié équipage « de ligne » et en tous cas une vie fatigante, parfois exaltante et parfois pénible.

   On se retrouva à l’hôtel, au bord de la plage. L’hôtel de la Paix, que je vous recommande : fabuleux, et pas cher pour que c’est ( 5 000 F CFA,  100 F français la nuit dans des chambres renversantes). C’était l’inauguration de l’hôtel, coïncidant avec les fêtes de l’Indépendance. Et le Président du Togo doit avoir des intérêts dans l’affaire, car d’immenses banderoles tendues en travers de la route qui longeait la plage disaient : « Hôtel de le Paix : un exemple de la politique de grands travaux de notre Président » ; et encore : « Hôtel de la Paix, l’un des résultats de l’équation personnelle du timonier national ». Ce qui nous rappela « Giscard à la barre », mais en plus exotique. Toujours est-il que Lomé est une drôle de ville : petites baraques en torchis, un bon nombre de rues en terre battue, pas d’immeubles et au milieu de tout cela un stade splendide, une Assemblée Nationale d’une architecture à la Brasilia, et bien sûr ce formidable Hôtel de la Paix.

   On discuta avec les gens du Hurel, qui nous apprirent qu’il y avait eu la semaine précédente un sérieux accident : l’avion du Président, un biréacteur Grumman Gulfstream ( 3 milliard et des poussières d’AF) s’était posé un kilomètre avant la piste, le soir, et après avoir fait du surfing sur 400 mètres dans les broussailles, la belle machine toute neuve s’était désintégrée. Trois morts, un pilote américain avec 23 000 heures et le mécano américain aussi, plus le pilote togolais. Trois rescapés, indemnes : les deux hôtesses et l’unique passager. L’avion avait été livré trois semaines plus tôt. C’est la vie.

   On parla aussi business ; l’équipe de Tardieu se morfondait quelque peu car les météos ne permettaient guère de travailler. Non qu’il fasse mauvais, mais la brumasse de chaleur qui voile les détails du sol (quand elle ne le cache pas totalement) rendait le travail impossible. C’est là un des gros problèmes du travail des équipages, au terrain dès l’aube, installés chez les gens du bureau météo, attendant d’avoir une indication sur le temps qu’il fait du côté des « lieux de pêche » (c’est l’expression consacrée pour désigner les zones de travail) – lesquels peuvent fort bien être à plus d’une heure de vol du terrain, en pleine brousse et hors de toutes observation météo certaine (avion passant par là) ou aérodrome local. Ils décollent donc souvent en espérant un temps potable, et doivent rentrer déçus car les photos s ‘avèrent impossible. Ce qui doit être déprimant, à la longue. A l’inverse, il arrive aussi qu’ils puissent couvrir en trois jours de grand beau temps une zone que les estimations pensaient faisables en deux semaines. En fait, pour les navigants de l’IGN, il faut être prêt à tout, tout prévoir et se dire que ce qui arrivera n’est certainement pas ce à quoi on s’attendait. Ce qui exige de la souplesse, de la patience, de la tolérance et un certain sens de l’humour. Sans cela, on devient vite nerveux et hargneux.

 

 On dîna tous ensemble à la Mini-Brasserie, un restaurant allemand qui, grâce à une climatisation poussée, rend possible l’ingestion de choucroutes et autres variantes de cette cuisine légère (c’est bien connu) malgré la trentaine de solides centigrades qui sévissent à l’extérieur, même de nuit.

   Et le réveil fut encore avant l’aube, avec un décollage dans les premiers rayons du soleil. Au passage, on put voir les morceaux du Gulfstream tristement répandus bien dans l’axe de la piste, puis on vira à droite direction Libreville, 600 nautiques plus loin dans le 133 ? On s’installa à 7.000 pieds, dans la brumasse, et on tua le temps. Mounié, dont le Munster clamait sa maturité à l’arrière, me colla son sextant dans les mains, et je m’aperçus que faire coïncider la croix lumineuse avec la croix noire et ensuite amener le soleil au milieu n’était pas si évident que ça. Puis ça commença à cumulifier, dans le dernier tiers de la route, un peu au Nord de Principe (où, si je me souviens bien, passaient pal mal d’avions ravitaillant le Biafra). Ce qui me permit de constater que s’il y a un avion qui encaisse calmement la turbulence, c’est bien le B-17. Il danse un peu comme un bateau, mais c’est plus confortable que les rafales de coups de pied au derrière qu’on prend sur les machines d’aujourd’hui bien plus chargées au mètre carré et plus rapides.

 

   J’avais aussi potassé le manuel de l’avion, et j’y appris des choses intéressantes ; un B-17 G, au poids maxi de 27 tonnes,  décroche à 105 mph, après un sérieux buffeting du côté de la profondeur. A 25 tonnes, le décrochage survient à 100 mph (160 kmh). Le moteur critique, pour ce qui concerne la panne au décollage, est l’extérieur gauche, et la VMC est alors de 110 mph, avec palonnier en butée. A 25 tonnes, ça monte alors à plus de 250 ft/mn. Et enfin le B-17 n’exige guère plus de 1 500 mètres de piste pour travailler (décollage de 950 mètres à 25 tonnes).

   Puisqu’on parle chiffres, on peut aussi parler des paramètres « pilotes » à l’IGN. Les commandants de bord de la maison sont PP1 en majorité, avec des PL. Mais ceci n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est ce qu’un pilote doit savoir faire avec son B-17, son Hurel ou son Mystère 20. Ca peut se résumer ainsi : tenir le cap à 1 degré près, l’altitude à 50 pieds près, ne pas admettre d’écart de route de plus de 150 mètres et être capable de tout cela dans la turbulence et durant des vols de huit heures et plus. Tout a des limites, bien sûr, et même les meilleurs pilotes doivent parfois s’avouer battus par de la turbulence trop forte (où par un jour « sans »). Mais ces messieurs savent ce que piloter précis veut dire. On peut parler aussi des navigateurs. Ils sont les pivots du travail de photo aérienne. Ils doivent amener l’avion jusqu’aux lieux de pêche, pour commencer. Et si les lieux de pêche ne sont qu’une zone de forêt vierge de Guyane, sans une clairière ni un ruisseau pour se repérer, c’est du pareil au même. Là, ils doivent positionner l’avion sur la bande parallèle, toujours pile sur l’axe.

   Là aussi, s’il y a au sol des points remarquables, pour se repérer c’est un travail disons assez facile (encore qu’il faille corriger la dérive avec une précision ce qui complique déjà). Mais si l’on travaille sur la forêt dense ? Le navigateur conduit alors le vol avec des systèmes de navigation tels que plates-formes à inertie, Loran, Shoran, Toran, Doppler et Oméga, plus bien sûr VOR et radio-compas, sans oublier le pif, le coup d’œil et les multitudes de trucs qui font partie du bagage de cette race extraordinaire que sont les navigateurs.

 

   En somme, le travail du navigateur installé dans le nez du B-17 correspond à celui du navigateur-bombardier du même avion il y a trente ans, sauf que celui-ci cherchait à arriver sur un objectif ponctuel pour y déverser ses bombes, avec donc une précision ponctuelle, alors que l’homme de l’IGN ne vise pas un point, mais des axes photo ; avec la même précision, et des journées de dix heures parfois. C’est du boulot de professionnel, et ces messieurs en sont.

   La même précision est bien sûr exigée des photographes qui font tout  autre chose qu’appuyer simplement sur un déclencheur d’appareil photos. Il faut voir les appareils en question, des chambres Wild ce jour là, pour comprendre que les photographes sont eux aussi des équipiers de haute technicité.

   Il y a une autre particularité, à l’IGN, c’est que les avions partant en mission pour des virées au fond de l’Afrique (ou n’importe où dans le monde) sont accompagnés par un mécanicien-sol qui se tape l’entretien d’un bahut genre B-17 (avec l’aide du mécano navigant, il est vrai ; mais celui-ci a aussi le droit de se reposer de temps en temps), et ça n’est pas rien.

   On débouche sur Libreville, par un trou dans la couche, découvrant un terrain couvert d’avions lourds, légers et autres, une véritable ruche. Mais l’aviation au Gabon est une autre histoire, qu’on vous racontera une autre fois. On se posa, doux, on se promena un peu sur le parking, cherchant un trou assez grand pour garer le B-17. On s’arrêta finalement devant un couple de Cessna 150, et devant une foule sortie des hangars qui regardait avec des drôles d’yeux notre barcasse écrasante de classe et de dignité. Féron étouffa les quatre moteurs, en grand style, chaque hélice s’arrêtant une seconde juste après sa voisine de gauche. Et dans le silence retrouvé on entendit l’exclamation de Gastounet, le mécano, qui ouvrait la porte et sauta au sol en braillant « Enfin de l’Air ! ».

   C’est un fait que le Munster de Mounié était détectable même par un nez pas entraîné du tout. C’est un fait aussi qu’il était délectable. Le fromage, c’est comme les Forteresse Volantes ; plus que c’est vieux, plus que c’est bon.

Publié avec l'aimable autorisation de Mr Laurent DOLLEZ, transcription de Mr Daniel Blas

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